Pour La Fouine, qui ne s'est jamais remis du départ de sa femme, envolée avec un représentant en vins de Bordeaux, l'affaire était claire : il s'agissait d'un suicide, consécutif à un gros chagrin d'amour. D'ailleurs, avait-il indiqué, il ne faudrait pas que l'on s'étonne si l'on apprenait un jour qu'il avait suivi le même chemin.

Fusible, lui, toujours attentif à ce qui touche aux problèmes liés à l'énergie, penchait pour un assassinat : un ingénieur chargé d'étudier l'implantation des éoliennes aurait très bien pu rencontrer un opposant sur ces crêtes. Une discussion se serait engagée, le ton serait monté, et d'un coup d'épaule l'anti aurait envoyé le pro rejoindre ses ancêtres.

L'avis du Dodu était qu'on avait là l'exemple typique d'un accident. Le gars s'était bêtement approché du bord des roches, il avait glissé...

Les objections avaient fusé : une clôture de barbelés maintient les promeneurs à bonne distance du vide. Il aurait donc fallu que l'homme décide de la franchir, qu'il y parvienne, qu'il s'avance sur quatre ou cinq mètres sans avoir conscience qu'il mettait ses jours en danger, qu'il fasse encore quelques pas sur l'herbe glissante... Non, seul un idiot aurait pu montrer autant d'imprudence !

Justement, avait rétorqué le gros, dont le seul exercice physique consistait à faire quotidiennement trois pas de sa voiture au Malibu, un type assez débile pour faire de la marche à pied, et en plus jusque là-haut, il peut parfaitement pousser la connerie jusqu'à ne pas se rendre compte qu'il risque de se tuer !

Bref, on se perdait en conjectures.

Comme aucune hypothèse ne l'emportait clairement sur toutes les autres, on a laissé tomber le problème de l'identité du machab au bout de quelques jours, pour revenir aux discussions classiques à propos du foot et de la Formule 1. Le dernier mot sur la question, pour un certain temps, est revenu à P'tit Kir, qui a déclaré un soir, timide :